top of page
Parcours 

A l’adolescence, lors d’une colonie de vacances, j’ai découvert la photo.

En regardant dans le viseur d’un appareil j’avais trouvé un moyen d’expression qui tout en m’ancrant dans le réel, laissait une part à ma subjectivité. 

Une photo prise avec mon premier appareil reflex.

 J’ai poursuivi mon initiation en regardant les photographies d’Henry Cartier Bresson, André Kertesz, Robert Capa. La photo est mon premier amour. Quand je me projetais après le baccalauréat, je pensais au travail documentaire de Dorothea Lange. Son livre an American Exodus, coréalisé avec Paul Taylor, me faisait rêver car plus encore qu’un métier, il représentait un mode de vie.

Homeless family, 1938 - Dorothea Lange 

Vers l’âge de dix huit ans j’ai commencé à être passionnée de cinéma parce qu’il me transportait ailleurs. J’allais au Cosmos, une salle programmant essentiellement des films russes. J’ignorais jusqu’aux noms des réalisateurs des films projetés - Tarkovski, Eisenstein, Paradjanov, Boris Barnett - mais dans l’obscurité, sur le grand écran, certains plans et certains sons, se sont instantanément gravés dans ma tête. J’ai appris qu’un plan pensé par un cinéaste, c’est une image dont on se souvient toute sa vie. Chaque fois qu’on la revoit, on découvre avec émerveillement et jubilation qu’elle n’a pas perdu sa puissance d’expression. Après des tentatives infructueuses d'entrer à l'IDHEC, j’ai entrepris d’apprendre le montage "sur le tas," poste qui me semblait le plus à même de m’initier à la réalisation. 

Photogramme du film Andreî Roubliev d’Andrei Tarkovski

Outre qu’il est un poste privilégié pour comprendre en quoi consiste l’écriture cinématographique, le montage m’a fait découvrir et aimer le travail artisanal qu’il y a derrière un film. Grâce à mon salaire d’assistante monteuse, j’ai financé mon premier court métrage.

J’avais écris un scénario dont l’action se déroulait au Havre. J’ai trouvé les enfants du film dans une école primaire des neiges, un quartier périphérique de la ville. Quand j’ai réalisé que certains d’entre eux ne s’étaient jamais baignés dans la mer, j’ai laissé tomber mon scénario et je me suis concentrée sur leur façon d’être, leur rapport à la réalité. 

 

Photo de tournage de mon premier court métrage, les cailloux. 

Un des premiers documentaires dont je me souviens précisément est Urgences de Raymond Depardon - le moment où une femme extenuée, assise en face de la caméra, parle, la tête et tout le haut du corps tournés vers une personne hors champs. Le réalisateur a répondu à l’insistance de ce regard : en panotant vers la gauche il nous montre qu’en l’absence du médecin, cette femme avait choisit spontanément de  s’adresser à l’autre personne dévolue à l’écoute dans la pièce, l’ingénieur du son Claudine Nougaret. J’aime ce moment parce qu’il témoigne de cette coprésence étrange d’une équipe qui filme et de ceux qui sont filmés.

L’objectivité en documentaire est un mythe. Ce mythe cautionne l’idée que tout puisse être filmé de la même façon, comme s'il n’y avait personne derrière les machines que sont les enregistreurs et les caméras, et qui tend à faire oublier que l’essentiel se joue dans la rencontre, dans la façon d’être présent à ce qu’il se passe. 

Photogramme du film Urgences de Raymond Depardon

On peut en dire autant de la photo. Certaines images  nous donnent des nouvelles du monde - celles-ci ne sont pas exotiques - elles nous touchent parce qu’elles arrivent à créer une passerelle entre ici et là-bas, entre eux et nous. 

 Des habitants de Tal Rifat, une petite ville entre Alep et Azzaz, regardent un hélicoptère bombarder l'école, le 12 juillet. Laurent Van der Stockt pour "Le Monde". - 2012

Mon parcours est celui d'un autodidacte. Entre la photo, le cinéma de fiction et les films documentaires, j’ai entretenu une transversalité dont j’ai nourri mon travail. Chaque projet est l’occasion d’une nouvelle immersion dans le réel. Ainsi malgré mon expérience, lorsque j’aborde un film je peux dire que c’est toujours une première fois. La constante dans mon travail a été de chercher à construire une passerelle entre ceux que je filme et le spectateur.  L’élaboration d’une forme qui soit adéquate avec mon sujet, afin de fabriquer les conditions pour que la rencontre ait lieu.

Curriculum Vitae

Expérience

________________________________________________________________

  • Conception, écriture et réalisation de films 

  • Assistante monteuse sur des longs métrages et des téléfilms / carte CNC n° 6899

  • Deuxième assistante à la réalisation sur des  longs métrages

  • Première assistante à la réalisation sur des courts métrages 

  • Prise de son direct

  • Ecriture de scénarios de court métrage

  • Assistante à la programmation et organisation de festival film 

  • Lectrice en commission de projets de documentaires

     

  • Création et animation de  l'association "Le Temps de Voir"

  •    Conception, élaboration et animation d'un atelier d'initiation au documentaire auprès de lycéens

  •    Conception, élaboration et animation de projet initiation au cinéma en milieu scolaire 

  •     Atelier  photo argentique, prise de vue et laboratoire,  auprès de collégiens 

  •    Intervenante  BTS audio-visuel

  • Membre de l'ACID (association de cinéma indépendant pour sa diffusion)​​

 

  • Visiteuse de prison

 

  • Espagnol, anglais, italien parlés couramment.

 

 

Formation

________________________________________________________________

 

  • BAC A5, 3 langues vivantes

  • D.E.U.G de Philosophie à Paris I Sorbonne 

  • Master 2 Réalisation et Création /Paris 8

  • Master 2 Didactique de l’image te outils de la transmission/ Paris 3 Sorbonne

  • Stage au laboratoire DELTA PRINT

  • Stage de prise de vue Betacam aux 3 I.S

Textes et entretiens sur les films

Avenir Light

Paru dans la revue  Idoc/ Images documentaires N°98 Mars 2020

Suzanne et René, un pays sur terre

France
Réalisation : Maria Reggiani
Production : Les Films d’Ici, Les Films du fleuve, 2019 Distribution : Les Films d’Ici
90 min

Le cinéma documentaire est un lieu de rencontre sans pareil, un rapprochement parfois inespéré entre des mondes et des personnes qui ne se côtoient pas ou peu. Ici, c’est Maria Reggiani, réalisatrice de documentaires, qui nous présente Suzanne et René, les deux person- nages éponymes qui, contrairement à ce que le titre pour- rait laissait entendre, ne sont pas mari et femme mais belle-mère et gendre. Depuis 2013, Maria Reggiani arpente les terres françaises pour documenter le monde paysan – un pays comme elle aime l’appeler – dont les habitants résistent à un monde à la course folle, où le temps semble comme suspendu. On pénètre ici dans une contrée lointaine, à Sommecaise en Bourgogne, où le labeur est intense et joyeux et les petits plaisirs de la vie précieux. Suzanne et René ne sont plus tout jeunes, ils ont même un certain âge. Ils continuent vaillamment à travailler, René, éleveur, en tête de file, continue à louer les champs de Suzanne, habitante du village depuis soixante ans et cultivatrice à la retraite mais encore active. Une routine se dessine, chamboulée par la panne d’une moissonneuse batteuse qu’il faut faire réparer, par un veau qui s’est cassé une patte, par les visites d’un petit-fils attentionné mais chahuteur, par une sécheresse gran- dissante. Un quotidien composé de micro événements, de discussions, de non-dits, de sourires, que l’on a la possibilité d’observer grâce à la complicité sincère qui se tisse entre Maria Reggiani et les deux acolytes qu’elle filme. Passée une première gêne quant à la place que s’octroie la réalisatrice qui ne s’empêche pas de prendre la parole, de commenter en plus de simplement ques- tionner, c’est une relation à l’œuvre qui se tisse sous nos yeux et c’est beau à voir. Maria Reggiani n’a pas peur de nous livrer ce matériau brut, de longues séquences de discussion ou d’observation prises sur le vif et très peu découpées au montage. Comme cette séquence incongrue et réjouissante du petit-fils qui, pour tuer l’ennui, joue au ping-pong dans la cuisine de Suzanne, troublant joyeusement la quiétude du lieu.

Il s’agit d’un film qui prend le temps. Maria Reggiani et Ned Burgess, fidèle chef opérateur de la réalisatrice depuis des années, ont passé deux ans et demi à venir régulièrement filmer après avoir fait la rencontre de Suzanne et René et cela se sent. On devine le temps passé à leurs côtés avant de se saisir de la caméra ; le temps passé à discuter ; le temps passé à les observer manier leurs outils ; le temps passé à observer les nuances chromatiques incroyables de ces ciels, de ces terres, de ces arbres captés au fil des saisons dans des plans fixes qui rythment le film, en écho à la vie de ces deux per- sonnages. La caméra circonscrit patiemment le territoire qu’ils incarnent dans un semblant de huis clos à ciel ouvert. Il aura aussi fallu du temps pour que le passé, que l’on devine parfois lourd, resurgisse par petites touches, cul- minant dans une séquence saisissante où, entre deux moments de silence, Suzanne égrène, l’air de rien mais la voix tremblante, les deuils successifs qui l’ont accaparée et dont les anniversaires ponctuent presque tous les mois de l’année. Suzanne dit, toute à sa couture, et sans jeter un regard à la caméra: «C’est toujours la même chose qui revient, il y a toujours quelqu’un qui me manque. » En hors-champ, les fantômes du passé viennent hanter ses nuits sans sommeil, puis apparaissent sur d’anciennes pho- tos noir et blanc qu’elle a déterrées.

Elle est pourtant pleine de vie, Suzanne, un sourire aux lèvres, une force physique encore solide malgré un corps frêle. Elle a sur qui se reposer : René, un colosse à l’œil vif, la main sur le cœur. Une relation pudique les lie, un res- pect sans faille et un attachement discret dont il est peu question. Ils sont d’ailleurs rarement filmés ensemble. Maria Reggiani préfère en faire des portraits séparés, chacun en situation, leur corps en mouvement, les pieds sur terre, semblables à ces arbres solides résistant au vent qui souffle dans le plan d’ouverture du film. Deux corps opposés, deux paroles différentes aussi, l’une volubile et l’autre plus rare et intime.

La fiction française s’est récemment emparée, avec un certain succès, du sujet de la France agricole (Petit Paysan de Hubert Charruel (2017), Au nom de la terre d’Edouard Bergeon (2019). Dans des récits narratifs classiques, sou- vent inspirés d’histoires vraies, ils s’attachent à dénoncer la souffrance du monde paysan, laissé à l’abandon. Chez Maria Reggiani, c’est une grande douceur qui se déploie et malgré la difficulté du travail à mener, on sent un amour de la tâche, une vocation qui remonte à l’enfance et qui fait tenir. Pourtant, derrière les images bucoliques, se cache aussi en creux la lente mais inexorable disparition de ce monde comme si Suzanne et René en étaient les derniers habitants.

Eva Markovits

Savoir-Terre

« Savoir-Terre », film documentaire de Maria Reggiani : à Toucy le 6 décembre 2014 par la Rédaction de l'Yonne L'autre

Une salle bondée, un film très prenant, et un débat très riche, avec la présentation de questions et de points de vue très différents, des réponses riches et très enthousiastes de la réalisatrice, Maria Reggiani. Une très bonne soirée, assurément.

  • Présentation

    Savoir-Terre est une association créée en 2007 par une bande d’amis, anciens étudiants de l’ESA (Ecole Supérieure d’Agriculture d’Angers). Après leurs études d’ingénieurs agronomes, ceux-ci ont voulu garder leurs liens, continuer à partager leurs réflexions et apprendre ensemble. En créant Savoir-Terre, ils se sont dotés d’un outil qui leur a permis d’élargir leur cercle, de se retrouver régulièrement pour des séjours dans des fermes, et de parcourir des territoires à la rencontre des gens qui y vivent. Au fil des rencontres, l’association a généré des projets de fermes collectives. Pour ces jeunes, ingénieurs agronomes pour la plupart, l’installation en AB va de soi car elle procède d’une vision globale de l’agriculture, tenant compte de la multitude d’enjeux à laquelle elle est liée : l’alimentation, le rapport avec les territoires, la qualité d’un choix de vie en milieu rural, la préservation des ressources naturelles. Ils n’envisagent pas l’agriculture seulement comme une profession, mais comme un mode de vie. Cependant aucun n’envisage de s’installer seul. Au pilier que représente la famille dans une ferme traditionnelle, ils imaginent de substituer une dynamique d’associés, fédérés par un projet ouvert sur l’extérieur, en relation avec la vie sociale et économique du territoire. Savoir-terre, le film de Maria Reggiani, traite de la thématique de l’installation agricole pour des jeunes « hors cadre familial ». Leur projet : s’installer, regroupés en petits collectifs pour travailler de leurs mains en lien avec la terre, trouver leur place dans un monde rural en pleine mutation et ainsi participer à faire vivre le territoire : en un mot, devenir paysan. Le film montre comment ils s’y prennent pour nourrir et partager leurs réflexions, confronter leurs idées à la réalité, et avancer collectivement vers la concrétisation de leurs projets. Il peut être un support pour aborder le contexte actuel de l’installation agricole, et initier un débat local sur le thème du renouvellement des générations paysannes et, plus généralement, sur l’avenir du monde agricole et rural.

Maria Reggiani, vous venez de réaliser« Savoir-Terre », un film documentaire qui traite de la thématique de l’installation agricole pour des jeunes « hors cadre familial ». Pourquoi, comment avez-vous cheminé vers un tel projet ?

 

Si je prends les choses par le tout début, j’avais depuis longtemps envie de réaliser un film en connexion avec la nature, un film où je passe beaucoup de temps dehors, en prenant le temps de regarder les arbres, les nuages, les changements de lumières, les vaches etc... 
J’ai tout d’abord pensé à un film qui recueille le témoignage de plusieurs personnes ayant décidé de changer de mode de production agricole, en passant en AB. L’idée m’était venue car lors de rencontres faites en randonnées, en parlant avec certains paysans, j’avais été frappée par le fait que ce mode de production redonnait un sens à leur travail, dans la mesure où, m’expliquaient-ils, cela leur permettait de renouer avec leur faculté d’observation de la nature, celle d’une réflexion nourrie par l’expérience, l’étude et les échanges. Ils se trouvaient plus heureux sur une exploitation à taille humaine, libérés de la course au rendement. Ces hommes et ces femmes se trouvaient à nouveau mobilisés et engagés, pas simplement dans des taches répétitives pour gagner de quoi vivre, mais dans un projet de vie. Au cours de ces pérégrinations, j’ai aussi rencontré des agriculteurs tristes au moment de partir à la retraite car leurs enfants n’avaient pas l’intention de reprendre la ferme - œuvre de toute une vie - ne voulant pas s’éreinter comme ils l’avaient vu faire leurs parents.
J’en étais là lorsque par hasard j’entends parler d’une jeune femme qui a fait ses études à Science Politique et qui a pour projet de monter, avec sept autres personnes, une ferme collective dans le Perche. Je suis intriguée, j’ai envie de savoir plus sur ce désir de monter une ferme de la part d’une jeune femme qui n’est pas du milieu agricole. Je me demande aussi : Pourquoi en collectif ?
C’est ainsi que j’ai rencontré Fantine, membre de l’association Savoir-Terre, puis d’autres, vivant dispersés dans le centre et l’ouest de la France, et porteurs de projets similaires. Ce qui m’a intéressée avant tout, c’est leur désir de travailler la terre, de s’installer alors que la majorité d’entre eux ne viennent pas du milieu agricole, et d’autre part, l’articulation entre agriculture et collectif. Si pour la plupart d’entre eux s’installer restait un rêve inaccessible, grâce à la vie de leur association, aux réflexions menées à plusieurs, aux rencontres faites en allant visiter des fermes, il ont pu envisager le passage à l’acte, la concrétisation de leur rêve. Tels qu’ils pensent leur projet ce sont des fermes polyvalentes (plusieurs ateliers différents et se complétant) ouvertes sur l’extérieur, qui peuvent même créer du lien dans les territoires. Être trois, quatre ou sept à s’installer ensemble, est ce qui leur permet d’envisager une installation agricole hors cadre familial : à la solidarité familiale ils substituent une autre forme de solidarité et d’échanges. Ces projets d’installations qui ne sont pas liées à la transmission patrimoniale posent le problème du foncier et de la transmission tout court. Voilà ce qui m’a amené à aborder la thématique de l’installation agricole pour des jeunes « hors cadre familial ». Néanmoins si le film aborde cette thématique, il porte surtout sur le questionnement en parole et en acte de ces jeunes.

 

 Pourriez-vous nous en dire plus à propos de l’association Savoir-Terre ?

 

Savoir-Terre, vers une utopie pragmatique.
Savoir-Terre est une association qui a été fondée en 2007 par des anciens étudiants de l’ESA (Ecole Supérieure d’Agriculture) d’Angers. Au terme de leurs études ils se sont dispersés — qui dans l’Indre, qui en Isère, qui en Touraine, qui en Bretagne — au gré de leur premiers pas dans la vie active. Le premier objectif de l’association était de pouvoir se retrouver à nouveau ensemble, au moins quatre fois dans l’année, pour poursuivre leurs échanges autour de thématiques liées à la vie en territoire rural, à l’agriculture et sa place dans la société d’aujourd’hui, réfléchissant à comment ils pourraient contribuer eux même à la qualité de vie dans ces territoires. Parallèlement le cercle d’amis du début, s’est élargit, accueillant en son sein des nouvelles personnes venant d’horizons différents. Les « savoir-terres » ont enrichi leurs réflexions par des séjours sur des fermes, partant à la rencontre de paysans expérimentant un nouveau mode d’organisation du travail, des nouvelles façons de faire. Ils ont poursuivi leurs études par une forme d’apprentissage autodidacte, proposant à ceux qui les accueillaient leur bras et leur énergie pour des chantiers ponctuels, ou de mettre à disposition leur capacité d’analyse d’ingénieur agronome passionnés d’agro-écologie et de permaculture. Toutefois si pour eux l’agriculture biologique est une évidence, ils recherchent toujours le dialogue dans un esprit d’ouverture ; le but de leur association n’est pas de prêcher des principes. Les adhérents ont ainsi développé un réseau et enrichi leurs connaissances. Ils ont redéfini leur association comme un outil dont chacun doit pouvoir s’emparer pour développer un projet, explorer un champ d’étude ou de pratique. C’est ainsi qu’ils en sont venus à explorer la thématique des collectifs agricoles. Ces visites sous forme de courts séjours, ont suscité des nouvelles vocations d’installation parmi les adhérents pour qui le collectif est apparu comme une alternative à l’installation dans un cadre familial.

Mais là ne s’arrêtera sans doute pas l’aventure de cette association dont les adhérents sont en continuel questionnement.

Ce questionnement ne se borne pas à un seul domaine, puisqu’il s’agit de chercher à comment donner un sens à sa vie de tous les jours, incarner des idées et des valeurs auxquelles on croit — par un projet, une pratique, une façon de faire —.

 

  Maria, comment s’est déroulé le tournage ?

 

Au bout de quelques mois, après avoir rencontré et longuement parlé avec différentes personnes de l’association, j’ai écrit un dossier afin que Maryline Charrier (de la société de production Senso films), cherche un financement. Le projet n’était pas facile à défendre dans la mesure où il ne traite pas d’un sujet au sens journalistique du terme : l’agriculture « Bio », le devenir d’étudiants diplômés ingénieur agronome … Par nécessité nous avons donc en partie, auto produit le film. (Ni Ned Burgess, qui en a fait l’image, ni moi-même, avons été rémunérés, et Ned a mis son matériel en participation.) Nous avons tout fait à deux, ce qui a été compliqué sans renoncer à nos exigences habituelles : chaque film nécessite la recherche d’une forme qui soit en adéquation avec son sujet.

Tout d’abord, avant de commencer à tourner, nous nous sommes immergés lors de moments de la vie de Savoir-Terre pour éprouver la convivialité de l’association de l’intérieur en y participant. Puis j’ai proposé d’accompagner les temps forts de la vie de l’association sur une année — quatre saisons — en les filmant, en même temps que l’un des projets d’installation, porté par Laura, Jérôme et Manu, membres de Savoir-Terre.

Parce que nous avons pris ce temps en amont de faire connaissance avec des personnes de l’association, la présence de la caméra n’a pas été un problème au tournage. En revanche j’ai découvert que vivre avec ses personnages – préparer à manger, faire la vaisselle avec eux, les retrouver dès le saut du lit – tout en faisant un film, est épuisant. Cela exige d’être constamment concentré pour discerner dans le déroulement des événements ce qui est important pour le film. Nous n’avions pas de plan de travail, juste notre immersion dans le réel avec une caméra. 

Je me suis parfois sentie submergée, doutant de mes choix ; cela aurait été plus simple de tout filmer. Il est possible de le faire avec la vidéo en se disant que ça ne coûte rien. Tout filmer aurait signifié « couvrir le sujet » — comme en reportage — prétendre montrer le réel tel quel, objectivement. Mais faire un film ce n’est pas mettre à jour un état des choses qui parlerait tout seul, qui sauterait aux yeux, c’est trouver une juste place d’où filmer afin de transmettre le sens de ce qu’on regarde.
Je ne voulais pas simplement filmer des situations pour leur valeur informative, à travers ce que disaient ou faisaient les « savoir-terres », mais attacher aussi une attention particulière à leur façon d’être ensemble.

Par exemple, le lendemain de la première visite d’un collectif agricole que nous avons filmée, lorsque les membres de l’association ont partagé leurs analyses de cette rencontre, une chose m’a étonnée plus que tout : alors que cette fois ils se retrouvaient entre eux, ils se sont mis en cercle, comme pour accomplir un rite, formaliser le fait de se parler. Se mettre en cercle c’est se disposer autour d’un vide, c’est désigner une place que personne ne prend, en même temps que cela crée un sorte d’intimité.
Il m’est apparu évident que filmer ces moments nécessitait que nous soyons nous aussi posés, prenant une place au bord du cercle. Lors des tournages suivants il y eu de nombreux moments d’échanges entre eux et avec les paysans auxquels ils rendaient visite. Ce fut chaque fois l’occasion de continuer à explorer l’importance que les personnes de Savoir-Terre accordent à la parole. Je trouvais important que le spectateur capte cela.

Dans le film de Christian Rouaud « Tous au Larzac », j’ai découvert des personnes témoignant du plaisir et de l’intérêt qu’elles ont eu tout au long de leur lutte, à discuter pendant de longues heures, et ce, avec une évidence : aucune décision ne pouvait être prise sans que tous et toutes, sans exception, soient parvenus à un accord. J’ai trouvé émouvant d’apprendre qu’un des moments les plus durs pour les gens du plateau, avait été de renoncer à cette pratique et voter dans l’urgence une décision à main levée. La force du film de Christian Rouaud est de nous transmettre, que ce qui nous paraît ordinaire aujourd’hui, a été vécu comme une défaite pour des hommes et des femmes qui avaient développé une grande maturité politique à travers le respect dans l’échange. Impressionnée par la présence juvénile des protagonistes, je m’étais dit qu’ils avaient vraiment vécu quelque chose qui les portait encore ; ils n’ont pas de regret.
Au cours de mes discussions préliminaires avec les « savoir-terres » il a souvent été question de ce film, qui était aussi une référence pour eux. Mais je leur disais, — ce qui est différent avec vous c’est que vous n’avez pas de lutte pour vous fédérer, et vous n’avez pas encore un territoire à défendre, et pour lequel résister —. En revanche ce que j’ai trouvé chez les « savoir-terres », c’est une ouverture sur le monde et une capacité à ne pas se figer dans une identité. L’échange entre eux comme avec les autres est primordial. Telle que je l’ai comprise la forme de leur association, domiciliée nul part, est en quelque sorte leur plateau ; être bien où qu’ils se trouvent, du moment qu’ils puissent s’installer autour d’une table, et si il n’y a pas de table, former un cercle, pour se parler.

 

 Estimez-vous avoir fait un film engagé ? Êtes-vous une réalisatrice engagée, voulant donner à voir et défendre votre point de vue sur le Monde ?

 

Oui, tout d’abord parce que pour réaliser un documentaire je construis une relation avec les personnes que je vais filmer. La qualité de la relation en documentaire n’est pas qu’une question psychologique. En fiction les acteurs sont rémunérés, leur métier est de jouer un rôle. En documentaire la relation avec la personne filmée est basée sur un accord tacite : on ne va pas dénaturer des propos, on va honorer la confiance qui nous est faite. Cette éthique selon moi départage les films. Les personnes qui acceptent d’être filmées et les personnes qui font des films dans mon cas, vivent cela comme un engagement. Et cela en est un.

Je considère volontiers mon travail comme celui d’un passeur : donner une visibilité à des personnes, des parcours, des pratiques, est ma manière d’interroger mon rapport au monde, la façon que j’ai trouvé d’y appartenir et d’y participer en y apportant un point de vue.

J’ai pris conscience durant les mois où j’ai fait connaissance avec les personnes de Savoir-Terre, que je n’avais pas employé l’expression « agriculture alternative ». C’était tout d’abord le signe que j’étais parvenue à cheminer avec mes propres repères, que je m’étais aventurée sans béquille sociologique, au contact d’une réalité qui n’est pas la mienne. Les mots sont piégeant. Si je pense à l’image que je « colle » aux termes « agriculture alternative », elle est réductrice par rapport à l’infini variété de réalités que désigne ce couple de mots. Certaines expressions reprises en boucle par les médias, deviennent des raccourcis paresseux qui finissent par donner une image simpliste de la réalité. Le risque est que le spectateur ait des explications toutes faites embusquées derrière ces mots, et qu’il n’accueille pas ce qu’il regarde avec la même ouverture d’esprit.
 

Ce que je cherche à faire devient un acte de résistance dans un contexte où communiquer est le mot d’ordre : j’ai renoncé à travailler avec la télévision car j’étais sans cesse sommé de donner des définitions, des résumés efficaces, de « pitcher » un « sujet », identifier, assigner, classer, donc cloisonner. Le sens de mon travail de création va dans la direction opposée. Je cherche au contraire à décloisonner, à créer des passerelles, à surprendre, poser des questions – et non pas donner des réponses – à lancer des pistes. Je tente de façonner des films de telle façon qu’une rencontre puisse avoir lieu. Une rencontre que j’ai tout d’abord vécue, qui m’a emmenée là où je ne soupçonnais même pas pouvoir aller. Je ne peux pas faire repasser le spectateur par mes traces, j’invente donc un chemin pour qu’il puisse faire son voyage.

Avenir Light est une police épurée et élégante et appréciée des designers. Agréable à regarder, elle pte parfaitement aux titres et paragraphes.

A tort et à raison

Autour du geste, le film de Maria Reggiani (1997), posait par exemple la question essentielle et complexe « comment en vient-on aux armes » à Oreste Scalzone, ancien militant italien condamné à neuf ans de prison pour actions terroristes, réfugié en France depuis 1981, en attente de son amnistie. Sans jamais donner de réponse précise à la question, Scalzone n’en déverse pas moins un flux intarissable de paroles difficiles à canaliser. Partant de l’échec de n’avoir pu faire plier Scalzone, la cinéaste a fait de son film un véritable combat où chacun joue du pouvoir que lui confère sa place : Scalzone profite de la tribune qui lui est offerte pour noyer la question dans une parole politique plus large, tandis que la cinéaste qui se heurte à ce refus n’hésite pas à figer brusquement l’image et le geste de l’orateur, pendant qu’en la phrase se termine. Usant des armes du montage, le film se structure ainsi par saccades. Entrecoupé d’entretiens avec la mère ou les sœurs de Scalzone, qui refusent à son égard le terme de terroriste, ce film formellement interventionniste laisse pourtant le spectateur entièrement libre de penser ce qu’il veut de la légitimité des actes de violence. est donc moins un film politique que la construction d’une forme qui rend compte d’une rude et riche expérience.

Cahier du cinéma n° 528 (Festival de Lussas)

 

 

Alessandro Baricco

« Je n’ai jamais rien écrit pour révéler quelque chose de moi-même. Pas même un article de journal. A Turin nous pensons que c’est de mauvais goût de parler de sa propre vie. Ce n’est pas élégant. C’est comme de mettre des chaussettes blanches pour un homme. » Dans un hôtel portugais esseulé au bout de la terre, ou sur un cours de tennis turinois, l’écrivain italien Alessandro Baricco livre pour ce profil quelques réflexions et éléments d’explication, sur lui-même, sur son travail. « Je pense être plus proche de l’interprète que du vrai créateur. C’est pour ça que je ne suis pas un grand. »

La question du processus de création irrigue de bout en bout ce film où des mini-documentaires consacrés à des artistes appréciés par Baricco entrecoupent son entretien avec Jean-Baptiste Harang (journaliste à ) : le photographe madrilène Chema Madoz crée en silence sous l’œil fixe de la caméra ; le jeune chef d’orchestre britannique Daniel Harding pense être un artiste mais pas un créateur ; le metteur en scène lituanien Eimuntas Nekrosius estime que  ; on rencontre des –élèves de l’école de Holden – crée par Baricco – qui seront peut être des écrivains, et les traducteurs de Baricco qui prolongent à leur façon l’acte de création de l’auteur des , , de .

De cette belle et intelligente balade à travers l’Europe culturelle, on ressort aussi léger, heureux et fourbu que d’une longue et rayonnante randonnée sous des cimes enneigées.

 

Cécile Maveyraud Télérama 2001

 

Ismaïl Kadaré

Au premier abord, dans ce documentaire, on a le sentiment qu’Ismail Kadaré s’exprime peu, se contente d’une anecdote, d’une phrase sur l’invisible, le monde parallèle de l’écrivain, tout en restant comme en deçà de l’explication de texte. En fait, c’est à travers les autres formes artistiques qu’il introduit, selon le principe de la collection Profils, que Kadaré s’exprime. Mine de rien Ismael Kadaré commence l’entretien avec un souvenir d’écolier qui deviendra son leitmotiv : son inquiétude devant sa vue imparfaite avant de porter des lunettes. Ce thème du regard ne quittera plus ses obsessions de romancier, cherchant la clairvoyance, comprenant que ceux qui voient trop bien les choses seront toujours les victimes des pires bourreaux exigeant des révoltés qu’ils baissent les yeux. La lucidité, la cécité, le langage des corps, la tyrannie de la langue, la lumière intérieure, toutes les exigences de l’écrivain-poète sont finalement développées au travers de ces arts essentiels qui apportent leur pierre à l’édifice. Et le portrait éclaté mais remarquablement pensé par la réalisatrice s’achève sur cette volonté : trouver le regard supérieur qui crée de la lumière intérieure, ce que Joyce appelle l’epiphanie.

 

Christine Ferniot, Télérama 2002

Israël Galvan

Debout dans un cercueil, Israël Galvan tape des talons et tend l’oreille, à l’affût des moindres résonnances de la caisse de bois. Rien de tragique ni de morbide au programme : le danseur et chorégraphe espagnol étudie simplement les sonorités de cet objet insolite qu’il compte réutiliserdans un spectacle. Plus jeune, Israël Galvan aurait tout donné pour une carrière de footballeur.[ … ]

Arte diffuse un beau portrait du chorégraphe, réalisé par Maria Reggiani. En un peu moins d’une heure, la réalisatrice propose une approche technique du danseur, de son style, et par là même, du flamenco.

Car sa préoccupation principale n’est pas de livrer clés en main la biographie de l’artiste. Donnant la parole au dramaturge Pedro Romero et à Israël Galvan lui-même, elle insiste longuement sur les apports et les conceptions chorégraphiques du danseur, alternant témoignages, explications et extraits de spectacles (, , la ). On y découvre un Israël Galvan obnubilé par les rythmes et les sonorités, privilégiant les interactions avec son public et affirmant trouver autant de plaisir à danser en musique que dans le silence pour entendre la musique de son corps.

Julie Fournier, Les choix de LA CROIX 2009

Mémoire blanche

Une prédiction d’abandon à l’œuvre sur trois générations. Le pouvoir des mots dans le cœur battant de la vie familiale, touche le vif des émotions, la perception de l’avenir, bref le destin des êtres jeunes et fragiles. La réalisatrice vient auprès de sa mère recueillir le récit ténu de leur histoire commune, ce qui a motivé sa décision de se séparer de ses enfants et le placement brutal de ceux-ci.

Maria Reggiani annonce son intention de film par cette phrase de Duras : Le malheur de ma mère a tenu lieu de rêve dans mon enfance. le film est à la hauteur de cette référence littéraire et de son style. La grave dépression de cette mère se marque surtout dans son corps, en revanche sa parole est précise, intacte et ses silences sont des réponses limpides. Quand sa fille lui demande : "Est-ce-que tu sais encore marcher ?"  Alors qu’elle ne se lève plus, elle répond : "Oui, je crois que je sais" avec l’esquisse d’un sourire. Des photos de famille et des extraits de chansons inscrivent la présence du père dans le film.

 

Mention spéciale « Regard social » -  Traces de vie 2011

bottom of page